Des temps glorieux des Foires de Champagne à l'âge d'or de la bonneterie, en passant par les Templiers, le Beau XVIe et Napoléon, découvrez dans cette rubrique les temps forts de l'histoire de l'Aube.

Au temps des foires de Champagne

Sous l’impulsion des comtes de Champagne, Troyes a occupé une place économique majeure en Europe, aux XIIe et XIIIe siècles. À mi-chemin entre les Flandres et l'Italie du nord, la ville, capitale des foires de Champagne, fut « au cœur de l’économie-monde pendant un peu plus d’un demi-siècle, entre 1260 et 1320 », avant de céder la place à Venise (Philippe Chalmain, Alessandro Giraudo).

Les puissants comtes de Champagne jouèrent un rôle déterminant, en assurant la protection des marchands sur l’ensemble de leur parcours. Thibaut II le Grand instaure ainsi, dès 1137, le « conduit des foires » permettant à tout marchand molesté ou lésé d’en appeler à la justice du comte de Champagne, quel que soit le pays où il se trouve, afin d’obtenir réparation. Henri 1er le Libéral donna aux foires leur forme définitive, un strict calendrier et des gardes pour les administrer.

Le déroulement des foires

Deux fois l’an, en été et en automne, les marchands de Flandre et d’Italie (puis d’Allemagne) convergeaient vers Troyes et Provins. Deux autres villes du comté accueillirent également des foires : Bar-sur-Aube (en mars-avril), et Lagny.
De juin (après la Saint Jean) à début septembre, se tenaient les foires « chaudes ».
De fin octobre à la veille de Noël, venait le temps des foires « froides ».
Les foires s’ouvraient sur la criée des draps et l’exposition des marchandises.
S’ensuivaient les transactions, durant 4 semaines.
Le dernier mois était celui du paiement des marchandises. Des changeurs étaient là pour peser et évaluer les monnaies, établissant des références telle que « l’once troy » — utilisée, aujourd’hui encore, comme unité de poids et de cotation des métaux précieux, or, argent, platine.

Les marchandises échangées :

  • toiles et draps de Champagne, de Flandre et du Brabant…
  • produits orientaux : épices (poivre, safran, gingembre, etc.), drogues, soieries…
  • chevaux, fourrures d’Allemagne, poudre d’or, cire de Venise, cuirs d’Espagne…

Place financière

Le commerce de l’argent et la mise en place de systèmes de crédit firent de la Champagne, à partir de 1250, le centre financier de l’Europe. Les banquiers lombards, ceux de Toscane, de Milan ou de Plaisance, se devaient d’y être présents et d’y établir des succursales, à l’image des célèbres Biche et Mouche, Albizzo et Musciato Guildi dei Franzeisi, originaires de San Gimignano et liés aux Frescobaldi, principaux banquiers du roi Philippe le Bel.

Source : Au temps des comptoirs, de Philippe Chalmain et Alessandro Giraudo, François Bourin éditeur.

Aujourd’hui :

De l’époque des foires, Troyes et Bar-sur-Aube ont conservé de superbes caves voûtées, dont certaines sur plusieurs niveaux. Pour le reste, c’est en se promenant au cœur de Troyes, que l’on peut imaginer l’effervescence du moment, avec ses marchands étrangers, ses jongleurs, ses musiciens. L’activité se concentrait autour de la bien nommée église Saint-Jean-au-Marché (reconstruite au XVIe s.) et dans les rues alentour : rue Champeaux, rues Urbain IV (ex rue Moyenne) et Émile-Zola (ex rue de l’épicerie), où s’activaient les changeurs.

Templiers, une histoire née en Champagne

L’histoire de l'ordre du Temple est étroitement liée à l’histoire de la Champagne et, singulièrement, à celle de l’actuel département de l’Aube. Fondateur et premier maître du Temple, Hugues de Payns est natif d’un village proche de Troyes. Et c’est au concile de Troyes de 1129 que la règle de l’Ordre fut rédigée et adoptée sous l'égide de Bernard de Clairvaux.
La Champagne a fourni des figures majeures de l’ordre du Temple et des croisades. Au Moyen Âge, sous l’impulsion des comtes de Champagne établis à Troyes et à Provins, elle est, par excellence, la terre des aventuriers de l’Orient…

Le Beau XVIe, un âge d'or

La fin de la Guerre de Cent Ans, puis la fin des conflits avec la Bourgogne voisine ouvrent une période faste pour la Champagne et la ville de Troyes. La renaissance d’un commerce florissant pousse une bourgeoisie enrichie à embellir églises et hôtels particuliers. Ce "Beau XVIe" champenois constitue un âge d’or pour la sculpture et le vitrail dans toute la région. Après 1562, les Guerres de religion, sonneront le glas de cette période remarquable.

Le retour de la Champagne et de Troyes dans le giron du royaume de France amorcent une phase d’expansion économique. Les foires de Champagne sont relancées, malgré la concurrence lyonnaise. Le centre économique du monde s’est déplacé vers Venise et Anvers, qui tirent profit de leurs positions stratégiques dans le commerce de la soie, de la laine et des épices. Mais la Champagne dispose encore de nombreux atouts.

Le textile, les tanneries et le travail du cuir constituent déjà des points forts de la région. Dès 1474, la soie fait son apparition, puis les papeteries. On compte ainsi 9 moulins à papier en 1493 à Troyes. Le développement de l’imprimerie en est une conséquence naturelle. La famille Le Rouge s’installe à Troyes où elle imprime le premier livre troyen en 1483.
La vie intellectuelle se développe. 
Les nombreux échanges commerciaux enrichissent la bourgeoisie locale. Ville de transit entre l’Italie, Lyon et les Flandres, Troyes voit sa population augmenter de manière spectaculaire. De 11 000 habitants dans les années 1440, la ville passe à plus de 23 000 au tournant du XVIe siècle, ce qui fait de Troyes la 5e ville du royaume.
Les hautes maisons fleurissent, avec rez-de-chaussée bas, pignon pointu, étages à encorbellement et colombages.
Foyer d’excellence, la cité s’anime au cœur du siècle de la Renaissance et des Grandes Découvertes. Son rayonnement artistique dépasse les frontières. On s’arrache la main-d’œuvre et le savoir-faire troyens jusque sur le chantier du château de Fontainebleau !
Les échanges artistiques influencent énormément les sculpteurs champenois. Les inspirations germaniques, flamandes et italiennes constituent la base d’une production artistique nouvelle. Du gothique tardif (représenté par les œuvres du Maître de Chaource), le goût évolue ainsi vers le maniérisme alors à la mode dans toutes les grandes cours d’Europe.

Terre d’accueil et de tolérance, bien des artistes viennent s’installer en Champagne, à l’image de Dominique Florentin, artiste italien, originaire de Florence.

Ce commerce florissant conforte une aristocratie et fait émerger une bourgeoisie désireuses, toutes deux, d’affirmer leur puissance — en même temps que leur ferveur religieuse. Quelques grandes familles de notables administrent alors la ville dont la population ne cesse d’augmenter. Ce sont elles qui se dévouent en tant que mécènes pour contribuer au rayonnement de l’Église. Commanditaires des œuvres , comme le jubé de l’église Sainte-Madeleine, réalisé par Jean Guayde (1508-1516), elles sont à l’origine d’une production foisonnante — et d’excellence — dans les domaines de la sculpture, du vitrail et de la peinture. 

Des sculpteurs s’illustrent dans toute la région, comme Pierre Jacques ou Nicolas Halins...
Le vitrail n’est pas en reste : le XVIe siècle s’impose comme un véritable âge d’or.

Le grand incendie de 1524

Les catastrophes ou maladies n’ont cependant pas disparu. La région subit plusieurs épidémies de peste, notamment en 1522-1523.
Troyes se trouve peu après ravagée par un incendie en 1524. Plus de 1 500 maisons, soit le quart de la ville, sont détruites. Dès les mois qui suivent, la ville se reconstruit. Troyes et la Champagne entrent dans l’ère moderne. Le style Renaissance apparaît dans les nouveaux bâtiments des puissants marchands : maisons à pans de bois, hôtels de pierre et de brique, églises reconstruites et parées de sculptures et vitraux majestueux…

À la mi-XVIe siècle, Troyes compte environ 30 000 habitants. Un tribunal de commerce ouvre en 1564, pour régler les litiges entre les marchands venus de Flandres, Lyon, d’Allemagne, de Genève. Papeteries, draperies et toileries prospèrent. Cette richesse développe aussi le goût du luxe, via le commerce de la soie et l’orfèvrerie.

Trente années de troubles

Cette période faste s’achève avec les Guerres de religion, qui vont dévaster la région. Dans les années 1520-1530, de riches marchands et artisans se convertissent au protestantisme. Les ultras catholiques du clan des Guise ont la mainmise sur la Champagne et provoquent l’exode de nombreux marchands et artistes. À la fin du XVIe siècle, Troyes ne compte plus que 20 000 habitants.

Bonneterie : l'Aube, capitale de la maille

L’histoire de la bonneterie est intimement liée à celle du département de l’Aube. S‘appuyant sur une longue tradition de tisserands, de filateurs et de teinturiers, l’Aube a su faire preuve d’innovation technologique tout au long du XIXe siècle, au point d'être consacrée "capitale de la maille".

Dès le Moyen Âge et au temps des foires de Champagne, Troyes et l’Aube constituent une plaque tournante du commerce des étoffes, au carrefour des Flandres et de l’Angleterre, des régions rhénanes, de l’Italie et de la Suisse.
La région auboise, ou domine l'agriculture et l'élevage de moutons, ne permet pas aux populations de vivre confortablement. La plupart des habitants sont tournés alors vers des activités de complément, principalement vers l’artisanat textile.

Au XVIIIe siècle, Troyes, ville de drapiers, subit une sévère crise du textile. Elle va alors se reconvertir dans la manufacture de bas. Les premiers métiers à tricoter apparaissent, d'abord à Arcis dans les années 1727-1730, puis à Troyes en 1746. En 1778, on compte 2 000 métiers à tricoter dans l’Aube. 

La Révolution, puis les guerres napoléoniennes étouffent ce premier développement, principalement par manque de matières premières. Après cette période difficile, de petits ateliers renaissent à Troyes, Arcis-sur-Aube et dans le pays d’Othe, pour produire bonnets, bas, chaussettes puis sous-vêtements et gants. En ce début du XIXe, on travaille encore avec des "métiers à bas", cadres de bois maniés à la main et au pied, inventés par l’Anglais Lee. Ces métiers ne permettent de produire que deux ou trois bas par jour, ce qui convient bien à une activité de complément.

Le tournant des années 1830

Ce sont les années 1830 qui vont tout changer pour la bonneterie troyenne, à l’image de la création de la Halle de la bonneterie à Troyes en 1837. Les filatures Douine commencent à utiliser la vapeur pour mécaniser la production. Plusieurs ingénieurs troyens fabriquent de nouveaux métiers ou perfectionnent ceux existants. Joseph-Auguste Delarothière, un mécanicien, élabore un métier à chaîne, qui combine métier à tricoter et métier à tisser (1828). Ce nouveau métier à chaîne permet de réaliser des tricots indémaillables. L’horloger Joseph-Julien Jacquin développe en 1841 un métier circulaire, à partir des premiers essais britanniques. Ce métier permet d’accroître la productivité en montant la maille en « tube ».

Buxtorf, Gillet, Poron, Cotel sont autant de noms d'Aubois à l’origine de progrès techniques. Tous ces inventeurs, issus de la serrurerie, de la mécanique, déposent de nombreux brevets et font de Troyes l’un des pôles technologiques majeurs de la bonneterie française. Ils inventent des métiers plus lourds, en fonte, mais aussi plus grands. Cette nouvelle technologie pousse les fabricants à occuper des locaux plus vastes et à utiliser la vapeur. Les opérations sont progressivement regroupées : bobinage, finition, teinture, couture… Les premières usines, proches de l’eau et des voies ferrées, apparaissent, parallèlement aux filatures.

L'expansion du second Empire

Le second Empire offre une expansion économique d’envergure. L’exposition de Troyes, en 1860, couronne les ingénieurs troyens : si les Anglais produisent bien plus, la production auboise se distingue par sa qualité. Deux ans plus tard, le métier inventé par l’Anglais Arthur Paget, dit « métier hollandais », est perfectionné par les frères Poron dans l’Aube. Tous les autres grands acteurs du secteur, tels que Guivet, Mauchauffée, Lange ou Chauvin, suivent et achètent ou développent ce métier rectiligne, dont l’automatisme et la vitesse transforment complètement la production.
La bonneterie supplante désormais les filatures ; Troyes devient le centre névralgique de cette industrie. Toute la production du département y transite.
Progressivement, la complexité des machines exige une main d’œuvre spécialisée et ce lien entre travail rural et bonneterie s’estompe. Le travail du coton devient l’activité exclusive de nombreux habitants, principalement vers Arcis-sur-Aube, Romilly-sur-Seine et le pays d’Othe. Cette conversion du monde rural est notamment la clé du succès de la firme Doré-Doré, née en 1815 à Fontaine-les-Grès, qui s’appuie sur un réseau de fabricants à domicile.

L'âge d'or de la bonneterie

A partir de 1860, l’industrie commence à se concentrer. Des dynasties patronales se forment. L’arrivée du métier britannique de William Cotton, breveté en 1864, révolutionne encore la bonneterie auboise. Ces outils nouveaux exigent des capitaux importants. Aussi passe-t-on au règne des industriels : concentration d’entreprises, première société anonyme (Mauchauffée, 1876), création d’une Chambre syndicale des ouvriers (1877), création de la Chambre syndicale des fabricants en bonneterie (1883), participation aux expositions universelles (1878, 1889, 1900), fêtes de la bonneterie (1909)… mais aussi premières grèves générales (1900). En 1914, Troyes, sur 55 000 habitants, compte 13 000 ouvriers de bonneterie  !

Cet âge d’or industriel voit aussi l’invention des premières marques, comme Petit Bateau, créée par les Établissements Valton. En 1914, la bonneterie auboise représente la moitié de la bonneterie nationale, en chiffre d’affaires comme en effectifs. En 1930, le département compte 40 000 personnes employées dans ce secteur d’activité.

Après la Seconde Guerre mondiale, l’Institut français du textile et de l’habillement est fondé à Troyes. Il accompagne les entreprises vers les avancées scientifiques en chimie et les nouvelles techniques.

Cette période glorieuse peine malgré tout à survivre aux mutations apportées par les deux guerres mondiales. Évolutions des équipements, des techniques, concurrence internationale, informatisation ou nouvelles matières, finissent par pousser les entreprises à se concentrer ou à délocaliser. En 1994, la bonneterie troyenne ne compte plus que 13 000 personnes.